D.É.L.I.É.E

D.É.L.I.É.E est un essai, une forme d’expérience de contre-critique littéraire, un engagement dans les livres, l’écrit et les mots. D.É.L.I.É.E se présente comme un voyage à travers les déambulations de nos réflexions, de nos pensées sur l'art, la société, la vie. Ce blog est aussi un projet global consacré à de nouveaux imaginaires en littérature. 


Rap français sur le Divan

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Je suis chez moi en train de lire un livre sur Gil Scott-Heron.  J’écoute une radio habituelle. Il y a un débat sur le monde imaginaire et les quartiers dit populaires de France. Ça accompagne bien le livre, c’est très intéressant. Un des intervenants confie

qu’il aimerait bien, un jour, que la société française fasse vivre aux jeunes des quartiers dits populaires, l’expérience d’un autre imaginaire. Que la société leurs fassent percevoir et entendre enfin les choses d’une autre manière. Qu’elle leurs vendent de l’espoir s’il le faut. Il dit espérer que cette jeunesse pourra croire, qu’il lui sera enfin possible de regarder fièrement l’histoire et le monde à travers cette fenêtre toujours entre ouverte qu’est l’imagination.
Je me dis : « Waouh, super cet intervenant » ! Sur cette fréquence FM, normalement on ne passe jamais de rap. Pourtant, après la prise de parole de l’intervenant, c’est un morceau de Rap français du moment comme on dit, qui arrive à mes oreilles. Je ferme le livre et écoute le morceau jusqu’à la fin. Avant d’éteindre, j’entends une voix venant du transistor dire avec enthousiasme : « Putain, il est lourd ce son ».  Je suppose que ça signifie : « super bien ». J’éteins pour de bon la radio puis de manière presque mécanique me mets à taper sur cette machine. J’aurais pu prendre un papier et un stylo, mais bon…

Je tape :

« À notre époque, les rappeurs Français sont dépressifs et je crains qu’ils n’entraînent une grande et bonne partie de la jeunesse dits des quartiers dans leur dépression ». Ça y est les mots sont lâchés : DÉPRESSION, JEUNESSE, QUARTIERS, RAP.
Je me souviens de quelques unes des paroles de la chanson que je viens d’écouter.

C’est la end du monde negro, faisons du biz pour le bif wesh wesh gros…

Refrain :
Nous aussi on veut faire de l’argent sale !
Quoi faire ? de l’argent sale ! Faire quoi ? De l’argent sale!
Nous aimons la Bifologie, Bifologie Bifologie !

Cette noirceur que je viens d’entendre dans cette musique est-elle spécifique à la France ? En ce qui concerne la Bifologie et ce nihilisme contre-nature, probablement que non. Par contre, concernant la dépression de la jeunesse dits des quartiers et des rappeurs français, peut être bien que oui, hélas.
Moi, je préférais lorsque cette jeunesse était en colère, car de là où nous sommes (je dis nous car je ne suis jamais seul), nous avons l’intuition que la colère monte et descend. De ce fait, nous savons donc la plupart du temps où elle va… La dépression, au contraire peut mener la société à une forme de tragédie. On dit même que certaines dépressions ne sont contrôlables quasiment que chimiquement.

 

 


Nous les GDL avons choisi ce luxe ultime : prendre le temps d’observer. C’est pour cette raison que de notre monde imaginaire, nous demandons aux autorités françaises de bien vouloir prendre en compte la dépression de cette jeunesse d’aujourd’hui et ce d’une manière bien différente qu’elles ont pris en compte et en charge la colère de la jeunesse d’avant. Afin de mieux y répondre. La jeunesse d’aujourd’hui n’est pas si différente que celle de ses parents. Elle n’a ni les moyens, ni le temps d’aller s’allonger sur un divan. De plus, des croyances imposées font que cette jeunesse ne pense même pas à aller consulter les marabouts qui sont bien moins chers que les psychiatres, psychanalystes et autres psychotropes… 
Elle trouve alors parfois, hélas du réconfort dans des sectes, idéologies, et cultes sombres.
De là où nous sommes, nous pensons que plonger une telle jeunesse dans la dépression, c’est commettre un genre de Crime d’Esprit.

« JE VIENS DES NOIRS AMÉRICAINS »

Nous redeviens je.

J’ai les yeux fermés et apparaît à côté de moi, un personnage déguisé en rappeur. Il se présente : « Salut je m’appelle Rap ». Il a une sacré dégaine. On dirait un vrai panneau publicitaire pour toutes les marques que portent les rappeurs. Il me dit :
« Tout pour le bif, on vise le mili negro. »
Je n’y comprends rien. Subitement, il devient grave, triste et m’explique qu’on lui a demandé de venir me chercher afin de me mener assister à une séance. Je le suis alors presque mécaniquement puis nous arrivons très vite dans un drôle d’espace, où j’ai l’impression d’être invisible, pire de ne pas exister. Rap, lui, va tranquillement s’allonger sur un divan rouge.
Une voix venue de je ne sais où lui dit alors :
« Poursuivez ». J’entends alors Rap répondre : « Au départ on dit que je viens d’Amérique, mais si ça se trouve, je viens de bien plus loin que ça. Ceci n’est pas une punchline, il faut le savoir. On ne peut gagner une guerre avec une armée d’alcooliques, c’est peut-être pour cette raison que certaines religions interdisent la consommation d’alcool. De la même manière, on ne peut mener une lutte avec une armée (même gigantesque) de dépressifs…

La voix invite de nouveau Rap à poursuivre. Ce dernier, toujours allongé sur le divan rouge, yeux fermés, raconte :

« Doc, aujourd’hui bien plus qu’hier, on ne crée plus, on répète, on imite, on mixe. On ne scratche plus, on recycle. Nous singeons des choses que souvent nous ne comprenons pas. (Que les singes me pardonne).
Je viens des noirs américains. Ils étaient et sont encore en lutte. Ils ont libéré les corps avec des musiques tel que le jazz… Et dans les années 70, alors que le rock dont ils sont aussi à la base commence à être remplacé par la disco, dont ils ne sont pas non plus pour rien, ils décident de revenir à la parole. Et là, doc, ce n’est plus du gospel, ce sera moi, Rap. Ce n’est plus du Oh Lord, c’est du :  What tha fuck, i don’t care negga , i fuck you !

Ça claque en américain, doc ! Par contre,  ici il faut le savoir, les rimes et les métaphores sont importantes, mais le sens l’est encore plus. Partout où j’ai eu la chance d’être accepté, j’ai été, je suis et je resterai toujours une forme de poésie et d’attitudes qu’il faut savoir maîtriser et adapter. Je peux te le confier à toi doc. Elvis Presley a été sélectionné par ceux qui ont accouché de moi pour propager une musique. Ils savaient qu’il y aurait des clones d’Elvis dans le monde entier. Enfin le monde d’ici. J’en profite pour dire que comme Johnny Hallyday est mort, il faut militer afin que Booba ou maître Gims soient les nouveaux Johnny.
MDR, LOL, DAB. Tout ça est déjà dépassé !

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Photo by Joel Muniz on Unsplash

 

La voix, certainement celle que Rap appelle doc s’exclame encore : « Poursuivez ».
Et Rap poursuit.

« Les noirs américains étaient en colère et le sont encore. Des idéologues sont venus me chercher de l’autre côté de l’eau et m’ont transposé ici en France doc. Les colères d’ici et de là bas sont-elles les mêmes ? Franchement, je ne le crois pas. La colère des noirs américains correspondait et correspond encore à ce qu’ils vivent. L’environnement, les mœurs, les idéologies, la race comptent. Là bas, je suis la suite logique d’une lutte. Ici je ne peux nullement jouer le même rôle d’où mes problèmes, doc. Là bas, les gens qui m’écoutent ont d’autres leaders d’opinion ainsi que de modèles culturels et médiatiques auxquels s’identifier. Aux Etats-Unis, il y a eu la ségrégation, les minorités ont été obligés de s’organiser et s’organisent encore.
Barack est passé, et en ce moment c’est Donald.
Alors, là bas, je suis allongé sur un tout autre divan. Ici, on ne se sert pas de moi tel qu’on s’est servi du jazz ou même du rock. Pourtant je viens des mêmes gens, doc. Là bas, on se sert de moi de la même manière. C’est juste l’époque qui a changé.»

Des larmes coulent des yeux pourtant clos de Rap. La voix dit encore : « Poursuivez ».
Et Rap poursuit :

« Là où je suis né, mes adeptes se sont créés la possibilité de devenir des nouveaux petits aristocrates avec d’autres manières, c’est tout, doc. Kanye West et Kim Kardashian, Jay Z et Beyoncé,  ça donne ça là bas. Que dire d’ici?

Silence gênant.

Là bas, ils ont Morgan Freeman, Oprah Winfrey, Denzel Washington, Tony Morrison, Jesse Jackson… Sans parler des boxeurs, joueurs de basket et comiques en tous genres… Je dois me l’avouer, je suis ici une sorte d’expérience en cours sur une partie de la jeunesse française, si ce n’est du monde entier doc. Moi Rap, je suis devenu Français et mon but à été détourné. Je suis l’instrument malgré moi de la vente en série de baskets casquettes et autres cagoules universelles, d’où la raison de ma présence devant vous. Je me souviens qu’à mon arrivée en France, on m’a d’abord installé dans la tête des jeunes dits des quartiers populaires qui étaient habités quasiment que par des non-souchiens, comme on dit de nos jours…
Je suis arrivé au début des années 80, après la marche des Beurs. Cette marche, les jeunes maghrébins l’avaient entreprise pour dire « Arrêter de nous jeter dans la Seine, nous sommes Français ».

 

« N’ESSAYEZ PAS D’ÊTRE FRANÇAIS, SOYEZ AMÉRICAINS ».

Des larmes coulent à nouveau des yeux toujours clos de Rap, la même voix entonne le
« Poursuivez » et Rap poursuit.

« Peut être ne suis-pas arrivé ici par hasard doc ? Si j’étais complice d’un système, je dirais volontiers à ces jeunes : « N’essayez pas d’être français, vous n’y arriverez pas, soyez américains ».
Du coup, jusqu’en 1998, la jeunesse non-souchienne des quartiers populaires ne rêvera que d’une chose, s’identifier à des noirs américains. Et comme ces jeunes Français des quartiers pensent que les jeunes noirs américains détestent leur environnement, alors qu’ils ne les connaissent nullement,  c’est donc dans une pathétique imitation que des jeunes Français bien ciblés se mettent à détester l’endroit où ils vivent, donc leur environnement.

Aujourd’hui, rare sont les rappeurs Français écolo.

Une partie de la jeunesse française sera en colère contre son propre pays avec le résultat attendu. De toute façon, il y a eu Mai 68 ici, et les Marches pour les droits civiques d’où je viens. Putain doc, est-ce que l’exclusion assumée ne vaut pas mieux que l’inclusion déguisée ? Aux USA, on dit afro Américan. ILS sont afro, mais américains quand même. Je n’ai rien contre la Compagnie créole, mais Nina Simone, Ray Charles ou James Brown, c’est autre chose. Je me demande même si ce n’est pas à mon arrivée que les noirs d’ici sont devenus black, ce qui peut expliquer la différence de résultat.

« Poursuivez », prononce la voix.
Plus de larmes. Un sourire se dessine sur le visage de Rap. Il poursuit en s’exclamant :

« Il y a eu une petite parenthèse 98, date où on a parlé de « black, blanc, beur ». D’ailleurs, à la même époque, j’ai connu mon propre âge d’or, grâce ou plutôt à cause de la magie du foot, cette autre façon de se faire du bif, sortir du quartier, être respecté. Sauf que dans le sport, il faut faire des efforts… Porter des injures genre, nique ta mère (ce vieux rêve freudien) sur la poitrine et le front, restera pour moi, un souvenir exquis. Je me souviens qu’ avant 98, on pouvait entendre dans certaines chansons : « Qu’est ce qu’on attend pour foutre le feu, hardcore, sacrifice de poulet… ».

Vous savez doc, la colère peut être dirigée et gérée. Mais qu’en est-il de la dépression?Oh lord, what the fuck, quel rôle me font-ils jouer ici ?

Moi Rap, aujourd’hui ma plus grande satisfaction est de voir que certains de mes adeptes sont devenus des comédiens. L’un de mes adeptes d’ici, le plus connu et le plus viril si on peut dire, jouera même le rôle d’un homosexuel dans un film qui a bien marché. Je suis content de voir que mes adeptes sont ou seront moins homophobes qu’autrefois. D’autres, sont ou deviendront de vrais auteurs. J’en suis d’autant plus fier. Pour le moment, ceux qu’on peut ranger dans la catégorie des « vrais auteurs », on peut les compter sur les doigts de la main. Mais, espérons qu’ils soient plus nombreux à l’avenir. Ils ne le savent pas encore mais l’écriture se lie à l’imaginaire pour devenir une ou la Voix. Stop…

Rap se tourne vers moi, il me montre ces superbes chaussures de marque virgule. Vous vous souvenez, de la marque crocodile que certains rappeurs ont eu l’audace de piquer aux bourgeois tennismen lorsqu’ils étaient en colère ? Rap me fait un clin d’œil, se lève du divan rouge, fait un chèque au psychanalyste, la voix qui disait juste :
« Poursuivez ».  Celui ci lui dit alors : à la semaine prochaine Rap…

GDL.

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Une réponse à « Rap français sur le Divan »

  1. Avatar de La sorciere aux cheuveux rouges
    La sorciere aux cheuveux rouges

    Je suis assise dans ma voiture et je me permets le pastiche, blanche vieille et laide, n’etant rien pour la plupart Rap pour moi est un lointain souvenir mais jai bien limpression quil persiste et resiste. Je laimais bien au debut. Tout a commence surement pck la revolution ne passera pas a la tele : alors chez moi pas de tele…et une lente revolution sans aboutissement. Sans tele je suis donc bien incapable de dire ou javais pu voir ceux que jai pris pour des rappeurs : des jeunes qui se jettaient par terre en se roulant sur le dos avec de grds sourires et des mvts dune rapidite incroyable le tout accompagne dune musique pas du tout a la francaise. Cetaient qui ces gars ? Dans les rues quasi desertes de ma banlieue neuftroyenne detestee jen voyais pas, en plus cetaient des noirs les jeunes rappeurs, alors un jour marchant au ralenti vers ma seance de torture hebdomadaire au conservatoire orange, je me trouve a fixer un grand maigre, surement malien, en me demandant vraiment si a lui aussi il.lui arrivait de se rouler sur le dos en plein trottoir : il a du se demander ce que je lui voulais :m’a bouscule et resultat c moi qui me suis retrouvée par terre. Lui il est parti en rigolant.
    Pour moi la petite blanche transportee en rer dans un lycee capitale les rappeurs je ne leur ai jamais parle mais les qq morceaux enregistres sur cassette en ecoutant une radio sans parole et sans pub avec juste qq session live comme la revolution. jai bien vu quil ny en aurait pas dautres des moments ou la diffusion sonore aurait un tel gout d’ authenticité . cest vrai que la note depressive ny était pas. Et dailleurs des vieux qui rappent yen a bcp ? La depression nest elle pas un truc dados ? Et la langue francaise na t elle pas une sonorité lourde et descendante ? Les ah que de johnny ne me semblent pas moins deprimant qune melodie rappeuse. Et prk ce serait a letat de prendre en charge lequilibre psychologique des rappeurs, tt le monde sait bien pourtant que letat na aucun interet a lequilibre et dautres ont encore plus dinteret a ce que le plus grand nombre reste a attendre que la revolution passe a la tele. Alors peut etre que les rappeurs attendent le messie le guerrier imaginaire quils aduleront et qui leur montrera le chemin de la verite a ne pas suivre : le formule magique quil est le seul a detenir pour ne pas finir dans une bouteille. Et pourtant lexperience sur le terrain a prouve le contraire. Mais quest ce quils foutent les guerriers ? Ils baissent les bras et sen remettent a notre bonne vieille securite sociale ? Et si cetait letat qui apres qq séances au CMP trouvait dun coup que les jeunes rappeurs sont des gars supers ? En tt cas jai du rater ma vocation car blanche vieille et laide , raide et incapable de casser une quelconque danse je deprime, je me remets sur nova et je demarre ma fiesta.

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About Me

An English diarist and naval administrator. I served as administrator of the Royal Navy and Member of Parliament. I had no maritime experience, but I rose to be the Chief Secretary to the Admiralty under both King Charles II and King James II through patronage, diligence, and my talent for administration.

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